Un toit en terrasse (Lune 122 - RP ouvert à toutes et tous :))

La lune montante éclairait froidement "Le Patelin", assemblage de planches auquel il n'aimait pas donner de nom, superstition inconsciente de sa part qui lui faisait refuser de lui donner une réalité au travers d'une identité.
La lumière crue blanc-bleuté rafraichissait l'air tiède du début de nuit de quelques degrés psychologiques entre deux nuages rares qui s'amusaient à aveugler le paysage en escamotant l'astre.
Un feu follet rouge crevait l'immobilité nocturne par de lentes ellipses tendues à bout de main, de bas vers le haut, ponctuant son ascension d'un léger nuage de fumée, avant de redescendre vers le bas pour y rester quelques secondes.
Le cul posé sur un chaise aux pieds inégaux, John laissait son regard caresser la forêt alentour, le reflet de l'incandescent mégot sur le liquide ambré d'une bouteille anonyme qu'il n'avait pas encore taquinée. Il n'y voyait rien que ses propres pensées, à l'image du décor : pas franchement à la fête. Les "citoyens", grandiloquemment ainsi désignés par Delamort, du Patelin, avait connu le visage d'un John certes discret, mais un sourire chaleureux accroché sur la figure ou au moins dans un regard pétillant, même quand il s'agissait de décocher deux fessées au Bourreau local. Mais une ou deux lunes avait suffit pour qu'une certaine forme d'inquiétude puisse le cacher comme des nuage le faisait de la lune.
Dans les plus éclairés de ses moments, il se disait que l'objet de son angoisse finirait par se tasser avant mort d'homme. Mais ce plan angélique s'évanouissait assez vite, cédant la place à son pessimisme (réalisme ?) qui lui soufflait que cela ne pouvait que se finir par un bain de sang. Et puis, espérer que tout finirait bien pour la République Sérénissime d'Aurore, c'était, finalement, montrer une attache au Patelin auquel il ne voulait pas être lié.
Et merde. Les habitants n'étaient pas forcément le patelin. Si ?

Le pragmatisme qui le guidait, car il ne fallait pas le croire idéaliste (encore que si une mesure de l'idéalisme existait vraiment, il serait sûrement classé dans la catégorie "cas-perdu-pour-la-cause-des-idéalistes-mais-pas-plus-gravement-que-d'autres"), l'incitait à penser que, si vraiment tout ce ramassis d'individualités voulait faire quelque chose de ce furoncle innommable qui les logeait, les affaires semblaient sérieusement mal emmanchées. Trahison, méfiance et démonstration de force, inévitables corolaires de toutes collaborations humaines, n'avait pas fait défaut à l'histoire locale.
Mais à ce point auquel ils étaient parvenus, l'œstrogène (ou peut-être de testostérone, les femmes en produisent aussi) dégagée par une partie de la population féminine, aurait permit de faire un solide pont pour remplacer celui de la rivière Kwai pour traverser à pieds secs. Responsabilité partagée, toutes mesures gardées, entre les anciens et les nouvelles autochtones. Même si il fallait admettre que ces dernières allumaient tout les voyants d'alarme de son instinct de survie.
Il se rasséréna un instant en se disant que tout était parti d'une incompréhension mutuelle, aisément dissipable avec une conversation adulte et... Mouais, et une grappée de chats sauvages enfermés dans un sac en toile donnerait sûrement le même résultat.

Sa bouteille émit clapotis amoureux pour se rappeler à lui, et il céda à l'appel insistant du Whisky d'une longue goulée. Le feu follet fit un nouvel allé-retour quand une planche, derrière lui, grinça poliment pour annoncer un ou une invité comme un majordome anglais l'aurait fait. Hormis l'identité de l'illustre personnalité.

John encaisse la charge sans plus de réaction que le "cloc" de protestation de la chaise qui passe d'une patte trop courte à l'autre. Stoïcisme dû à l'alcool, une nébuleuse de pensées et la générosité d'une planche bruyante. En plus, en, dépit du fait qu'il n'aime guère les villes, il faut reconnaitre qu'il n'a rien à craindre de celle-ci et de ses occupants.

Reconnaitre le parfum fraichement découvert de la cheftaine des Chacals, et accessoirement Doge locale, ramène un sourire et fais éclater l'amas de son anxiété comme une bulle de savon trop triturée par un gosse. Après tout, les Chacals sont ici pour quelque chose, tous ensemble, alors autant le faire bien, sans autre arrière pensée pour le faire dévier de leur but.

Le regard toujours fixé sur l'horizon, sa main abandonne la bouteille à côté de la chaise pour se lier du contact de celle de May.

- Hmm, ça va... ? demande-t-il, laissant le silence porter un éventuel nom affectueux qu'il ne peut sortir. Tu as fini ton travail ? Tu n'es pas avec les autres ?

On entend au loin des conversation de saloon, et des grillons.

Il y a trop de monde sur cette putain de vigie. Pas assez de place de penser. Sa propre voix lui souffle la réponse, mais il opte pour quelque chose de moins tranché, de moins mysanthrope.
- Hmmnon. Je suis sujet au vertige. Un peu. ajoute-t-il après une seconde.
Etonnant de voir qu'il est plus facile de mentir aux étoiles, qu'à un regard... Et il reste pas mal de trucs qu'il ne pourra dire à May qu'en les regardant...
- Tu m'avais parlé de... m'investir un peu plus ici ? Tu pensais à quoi, exactement ? Je peux t'aider ?
Il se tourne vers elle, un air on ne peut plus sérieux affiché.
- Je pourrais faire visiter le coin aux visiteurs, tu sais, Office du Tourisme ? Je suis sûr que PamyPam apprécierait l'attention, après son long voyage...

Sa tête tombe, menton contre la poitrine, les muscles tirant un peu sur la nuque, un soupir venant du tréfonds de l'âme se mêlant à l'air nocturne. C'est plus fort que lui, il ne peut pas s'empêcher de taquiner cette plaie vive que lui inspire la jalousie de la Cheftaine Chacal. Bon, en théorie, il connait l'origine du syndrome selon les bouquins : manque de confiance en soi, bla-bla-bla, rien d'irrémédiable dans la plupart des cas, avec un peu d'aide et de patience, sauf que.
Sauf que le fantasme d'être l'exclusivité d'une amazone guerrière lui file autant de boutons que les murs d'un patelin lépreux. Pas qu'il soit coureur, bien au contraire, mais plus que le manque d'assurance de May, c'est son manque de confiance en lui, en ce qu'il disait et ce qu'il ne disait pas.
Et puis honnêtement, il y a aussi une question de goût, à choisir entre la quadra affectant un baragouin plus ou moins stylé et... May.
Il y avait des trucs à mettre au point.

- Arrête ton char une seconde, et ramène ton cul ici, May. Tout de suite.

La phrase bien que dure est allégée par une légère chaleur dans le ton. Certaines choses pouvaient être dites directement, sans pour autant être agressif.

- Ce n'était pas drôle, c'est vrai, je regrette. Mais ce serait encore moins amusant si tu ne démarrais pas au quart de tour. Tu ne crois pas ?

Il finit par se tourner vers elle, sans rien dire de plus, mais ce ne sont pas les étoiles qu'il regarde, cette fois.

Y a pas à dire, il avait le don de l'énerver, il en jouait, de plus en plus et maintenant il lui donnait des ordres, sans rien dire elle fit volte-face. C'est vrai que pour moins que ça elle aurait été insultante en temps normal, mais c'était déjà assez compliqué comme cela entre eux, elle décida donc de prendre sur elle et s'avança de nouveau vers John. Mais bon...

Ouai c'est pas drôle, comporte toi comme les autres mecs et je te clous les couilles sur l'arbre devant la ville...

La perplexité arque ses sourcils, tandis qu'il semble réfléchir à ce qu'elle vient de dire. Ses lèvres bougent sans qu'un mot ne les franchisse, et après quelques instants à se caresser pensivement la rape de la barbe de trois jours qu'arbore son menton, un grand sourire s'affiche en même temps qu'un regard brillant.

- Marché conclu, dit-il simplement. Je t'accorde même que ce soit cet arbre-ci ou un autre, si jamais on se déterre un jour de ce trou, ça te convient ?

Il pose les mains sur chacune des épaules de l'asiatique, tendrement.

- ça te va, comme ça ? Tu vas finir par me faire confiance un peu ?

Décidément, cette relation n'était pas des plus simples...