R.I.P

Suite a ce qu'avait dit Delamort, il était sorti sans se presser du poste. Il n'arrivait pas à accepter le fait qu'on puisse laisser pourrir un être humain, pendu à une branche. En chemin, il ressassa ce qu'il lui était arrivé depuis qu'il était arrivé ici... Il avait pris la température de la communauté, et se rendit compte qu'il ne ferait pas de vieux os ici. Il avait encore quelques questions à poser, puis il s'en irait. Il avait cru comprendre que Delamort était une sorte de colporteur, mais il devait s'en assurer. Avec un peu de chance, il pourrait l'accompagner dans les différentes communautés du "Fract". Peut être qu'ailleurs, on aurait entendu parler de ses amis...

Ces pensées et lui vagabondèrent jusqu'à l'arbre. Le cadavre était là. Raide comme la branche à laquelle il était pendu. Il savait qu'il allait s'attirer les foudres de la jeune Galicia et de la belle May-Lee. Mais il s'en contrefoutait. Si, elles, avaient perdu tout soupçon d'humanité, lui non. C'était la chose qu'il avait appris de plus important chez les Rangers. On doit respecter les morts. Amis, comme ennemis. Les bons, comme les mauvais. Les gens normaux, comme les pédophiles et autres ordures du genre.

La colère des femmes était compréhensible, mais non moins répréhensible. Enfin...
Il soupira et se massa les tempes un instant, les yeux fermés. Il n'allait pas rester là des heures à polémiquer seul, sur tout et rien. Il s'approcha de la branche, et d'un bond s'y accrocha. Ensuite il se démena pour la rompre, pendu après. Il utilisa tout son poids pour briser la branche. Un crac sonore marqua la fin officielle de ce lynchage expéditif. Le cadavre chuta lourdement au sol. Futé posa la branche et défit le nœud coulant autour de la gorge de ce que fut ce RAS. Le corps empestait. Le visage bleui n'avait plus grand chose d'humain, hormis ces yeux révulsés et cette bouche tordu, en un cri de douleur muet.

Il s'aperçut qu'il n'avait pas de pelle. Il alla en chercher une dans les réserves de la comm'. Il trouva rapidement l'outil, puis il retourna près du macchabée. Il passa ensuite une bonne demi-heure, à transpirer, pelle à la main, afin de donner une sépulture décente à un enfoiré. Son détachement le saisit soudain, sa propre attitude le fit sourire. Les ordures, on les brûle, on ne les enterre pas... Mais il continua néanmoins, jusqu'à ce que la fosse soit assez grande pour que le corps tienne dedans. Il poussa ensuite le tas de viande morte dans le trou et recouvrit le tout de terre. Cette tache physique épuisait son corps mais faisait du bien à son esprit. Tout concentré qu'il était dans sa tache, il ne pensait à rien.

Il posa sa pelle à coté de la dalle de terre qu'il avait fait. Il épongea son front en sueur avec son T-shirt qu'il avait enlevé. Futé contempla un bon moment la pseudo tombe, puis, il ramassa la pelle et murmura :

-Requiescat in pace.

Il se retourna et alla vers le poste sans un autre regard pour ce que fut cet être humain.

Fatigué, le lieutenant n'avait vu de suite la jeune May-Lee, si bien qu'il failli la percuter. Il allait lui sourire quand il s'aperçut qu'elle paraissait furibonde. C'était à prévoir...
L'esquisse de sourire sur son visage se contracta en un rictus. Une discussion s'imposait. Futé n'aimait pas laisser les problèmes trainer et s'envenimer. Ça se finissait toujours mal. Il plongea son regard droit dans les yeux de la jeune asiatique. Le feu de la colère brûlait derrière ses jeunes prunelles, elle lui en voulait, c'était certain.

Futé laissa filtrer un faible soupir. May-Lee était convaincue d'avoir bien agi. Futé ne lui reprochait pas qu'on ait refroidi le lascar. Non, l'éthique aurait simplement voulu qu'il ne pourrisse pas à une branche. Et il fallait lui faire comprendre.

-Écoute... Ce qu'il nous reste, je dirais même, TOUT ce qu'il nous reste, c'est ce que nous sommes... Des hommes et des femmes. Avec des sentiments, colère, sympathie, empathie... Bref. Laisser un corps en proie à la vermine, ne pas respecter les morts, ne pas leur donner le repos que tout , je dis bien tout être humain mérite, c'est nous enlever ce qui reste de meilleur en nous. Notre humanité. Et ça, c'est inhumain. Enlèves nous cette humanité May-Lee, et nous sommes voués à disparaître. A nous conduire comme des animaux. Par ce geste...

Il montra l'endroit ou RAS fut pendu.

-Tu t'abaisses au même niveau que ce type. Je sais que ce n'est pas toi qui l'a pendu. Mais tu es plus grande, plus réfléchie que la gamine. Tu aurais du savoir quoi faire. Tu es adulte. Je ne condamne pas le geste de Galicia, elle est jeune. Ses émotions ont pris le dessus sur son sang froid. mais toi, moi, savons faire la part des choses.

Futé semblait sentir poindre un malaise.

-Je ne défends pas ce qu'a fait cette ordure. Il méritait la mort. Mais... Pas comme ça. Surtout pas comme ça, May-Lee.

La jeune femme s'agitait, elle avait beau réfléchir, les arguments avancés par Futé ne lui convenaient absolument pas. Elle serre le poing se retenant du mieux qu'elle peut pour ne pas lui envoyer une droite, mais au fils de la discussions elle fini par envoyer une bonne droite dans l'épaule de Futé, l'envoyant valdinguer à quelques mètres d'elle.

Cette ordure mérité pas de crever net! J'aurais dû y aller ou envoyer Cali... Il méritait de souffrir pendant des heures... On se comporte comme des bêtes avec les bêtes....

La jeune femme s'avance en direction de Futé et l'empoigne fermement par le col et dit en serrant les dents:

Ma soeur c'est faite violer par cinq sales ordures du même acabit que Ras... C'est pas inhumain ça?

Elle relâche violemment Futé.

J'ai torturé à mort ces cinq fils de putes un à un et pendants des heures... Il ne méritaient que ça!!!

Le jeune militaire fut plus que surpris par l'audace de la jeune femme. Un vrai volcan! On pouvait presque voir l'afflux sanguin sur ses joues. Il attendit qu'elle le relâche pour broncher. L'envie de la gifler était forte. Mais il était trop droit pour s'abaisser à frapper une femme. Et abimer ce si beau faciès lui était une idée impossible.

Mais il était en colère. Très en colère. Une rage comme seuls ses ennemis l'ont vu irradiait de sa personne. Le flot d'adrénaline dans ses veines le faisait presque trembler. Il se souvînt brusquement que c'était dans de telles conditions qu'il avait massacré des dizaines de soldats, autrefois...

Lui qui s'arrangeait toujours pour avoir un visage engageant, bienveillant et accueillant... Le contraste était bouleversant. Il était livide de colère, ses traits s'étaient brouillés. Un rictus effrayant tordait sa bouche. Un voile était tombé sur son visage. Ce n'était plus Futé le charmeur et le beau parleur. C'était Futé le soldat d'élite, qui avait le sang d'innombrables hommes sur les mains...

-Ne recommences jamais ça.

Le ton était d'un froid polaire. Il passa à côté d'elle sans ajouter le moindre mot, sans la regarder. Il n'avait aucun compte à lui rendre. Il avait agi selon le code de l'honneur. Si elle ne le comprenait pas, il ne pouvait rien faire pour elle.

Il n'avait pas fait un pas que Galicia vint en remettre une couche. La pelle sur son épaule le démangea intensément. Non... C'est juste une enfant... Adolescence... La rancune envers les adultes. Ils étaient tous passés par là, il aurait du se montrer compréhensif. Mais il en avait marre d'être le seul à réfléchir.

-Je n'ai aucun compte à te rendre. Si t'as envie de taper de la gueule, vas voir May-Lee.

Il fit un autre pas avant de se retourner.

-Ce n'était pas ton idée de le pendre? Et depuis quand tu écoutes ce que te dises les adultes?

Question rhétorique. Il n'attendit pas la réponse qui de toute façon, ne viendrait pas. Il était fatigué et il devait se préparer pour aller avec Nager. Une bonne nuit de sommeil lui ferait le plus grand bien.
En passant il croisa le regard de Delamort. Il souriait. Bizarrement, cela l'apaisa. Il soupira un bon coup, puis il entra dans le poste communautaire.

La jeune femme fixe toujours Futé! Il semble énervé, mais ça n'impressionne pas May-Lee plus que ça.

-Ne recommences jamais ça.

Ou sinon quoi???

Mais elle n'en rajoute pas plus... Simplement elle s'avance à nouveau dans sa direction.

Garder son calme... Garder son calme, garder son calme....

Toutes les pensées de Futé se résumaient à ça. Il avait horreur des excès, déjà qu'il avait failli perdre son sang froid.. Il ne voulait pas en arriver aux mains avec quelqu'un d'ici, surtout pas avec May-Lee. La jeune asiatique le fascinait par sa fougue et sa fureur de vivre et puis... Il l'aimait bien.

Mais putain, pourquoi elle comprenait pas!? Lentement il se retourna. Il s'était recomposé une attitude digne de l'officier qu'il était. Il éluda la question pleine de hargne de la cheftaine et lâcha :

-Écoutes s'il te plaît. Je vais t'expliquer pourquoi j'ai fait ça. Je viens de l'armée, j'ai reçu une éducation militaire, c'est ce qui fait ce que je suis. Voila pourquoi j'ai trouvé ça innommable qu'on laisse un type pourrir à une branche. Peu importe ce qu'il a fait. J'ai enterré des types qui avaient tué mes frères d'armes... Parce que c'est ce que j'ai appris.

Il ajouta un ton plus bas.

-Je suis vraiment... Désolé pour ce qui est arrivé à ta soeur et je comprends ta colère. Je ne suis plus ici pour très longtemps de toute manière... On pourrait pas... Je sais pas, se "tolérer" le temps que je foute le camp?